Avec Palmer dans le rouge, Manu Larcenet poursuit une trajectoire singulière qui l’a mené des chroniques du quotidien (Le Combat ordinaire) à l’introspection radicale (Blast), en passant par la satire caustique (Thérapie de groupe). Publié chez Dargaud, ce nouvel opus marque un jalon à la croisée de ces registres : à la fois comédie noire et plongée dans la psyché d’un antihéros tragi comique.
Larcenet revendique ce Palmer comme une forme d’hommage à René Pétillon qui avait achevé le scénario mais pas les dessins, créé en 1976 ce détective maladroit et lunaire, alter ego comique du dessinateur lui même rompu à l’art du dessin de presse est aussi une figure de satire sociale : un privé dépassé par ses enquêtes, souvent en porte-à-faux avec le monde moderne : il résoult ses enquêtes sans le faire exprés et non sans causer un chaos involontaire chez les protagonistes.
L’histoire commence dans le Médoc, dans la région bordelaise.Le vignoble Grolo-Laglotte, qui appartient à une famille dont l’héritière doit se marier avec John, un riche exploitant californien, traverse une mauvaise passe financière. Ce mariage était censé sauver le domaine.Mais l’héritière disparaît subitement, laissant derrière elle une lettre à sa famille. L’inquiétude monte.La famille Grolo-Laglotte fait appel à Ange Léoni, un viticulteur corse, parent ou proche de l’héritière. Léoni va chercher Jack Palmer, qu’il connaît de la Corse, pour mener l’enquête. Jack Palmer est donc le détective appelé à la rescousse (et on s’attend à ce qu’il soit discret, mais comme souvent, son manque de discrétion ou sa maladresse sera partie prenante de l’intrigue) Palmer s’immerge dans le monde viticole bordelais, ses codes, ses tensions : propriétaires, œnologues, le patrimoine, les appellations, la rivalité (des vins, des terres, du prestige), les enjeux financiers, les secrets de famille…
Graphiquement, le livre frappe par sa simplicité et sa luminosité : Larcenet ne se fond pas dans le style de Pétillon mais épure son trait et aère ses cases tout en travaillant la place des dialogues sans surcharger les cases. Le dessin oscille entre la nervosité quasi-cartoon et des visions et dialogues expressionnistes liés à l’abus d’alcool. On apprécie le retour de Léoni rencontré lors de l’enquête corse , c’est un bon adjuvant de notre détective malgré lui , leurs dialogues sont savoureux et leur jeu de mot final fort émouvant en hommage au dessinateur disparu…
Une BD brillante, qui confirme Larcenet comme l’un des rares auteurs capables d’allier rire, déprime et tendresse dans un même souffle.