Rimini réédite un curieux polar de Peter Yates ( surtout connu pour Bullit avec Steve Mac Queen) : un univers sobre et sans espoir qui contredit son titre : pas de réelle amitiés entre ces truands en galère dont certains jouent double jeu : ce polar culte de 1973 « Les Copains d’Eddie Coyle » n’avait jamais bénéficié d’une édition physique dans l’Hexagone ce qui en dit long sur le destin injuste de cette œuvre : accueillie avec tiédeur à sa sortie, elle est restée dans l’ombre pendant des décennies avant d’être progressivement reconnue comme une référence du film noir des années 1970.
L’adaptation du roman de George V. Higgins marque une rupture radicale avec les codes du genre. Là où le cinéma policier des années 1970 flirte souvent avec la surenchère (fusillades spectaculaires, courses-poursuites effrénées), Peter Yates fait le choix inverse : une approche quasi documentaire, une sobriété formelle poussée à l’extrême, aucune scène tournée en studio. Le Boston qu’il filme n’a rien de glamour – bars crasseux, parkings sinistres, rues grises – et cette esthétique de la grisaille sert parfaitement le propos du film.Car « Les Copains d’Eddie Coyle » est avant tout le portrait d’une classe criminelle en déshérence. Eddie Coyle n’est ni un génie du crime, ni un desperado romantique : c’est un petit escroc fatigué, rongé par l’angoisse de la prison, prêt à trahir pour sauver sa peau et sa famille. Robert Mitchum, dans ce qui est souvent considéré comme son plus grand rôle, livre une performance d’une justesse bouleversante, tout en retenue et en regards éteints. Autour de lui, Peter Boyle et Alex Rocco (remarquable second couteau du « Parrain ») composent une galerie de personnages d’un réalisme saisissant.
Le style de Peter Yates trouve ici son expression la plus aboutie. Ses plans millimétrés, associés à la photographie magnifique de Victor J. Kemper (futur chef opérateur d' »Un Après-midi de chien »), créent une atmosphère poisseuse et feutrée qui capte admirablement la médiocrité tragique de ces vies ratées. L’action s’installe lentement, presque insidieusement, sans esbroufe ni effets spectaculaires, et c’est justement cette patience narrative qui fascine et étreint.
Rimini Éditions ne se contente pas de ressortir le film : l’éditeur propose un combo Blu-Ray + DVD avec en supplément une conversation de près de 50 minutes entre Jean-Baptiste Thoret (référence incontournable sur le cinéma américain des seventies, auteur de l’ouvrage de référence sur le sujet) et Samuel Blumenfeld, critique au Monde. Ce dialogue érudit, intitulé « Eddie Coyle ou les prolétaires du crime », promet d’explorer la dimension sociale et politique du film, son inscription dans le contexte post-Nouvel Hollywood, et sa vision désenchantée du rêve américain.
Le livret de 44 pages signé Christophe Chavdia (« Les copains d’abord ») permet d’approfondir la genèse du film, son contexte de production, et d’en analyser les thématiques avec la distance et la profondeur qu’elles méritent.
L’interview de Peter Yates (37 minutes) représente un document d’archive précieux. Enregistrée en 1996 au National Film Theatre par Derek Malcolm (critique et historien respecté), elle offre au réalisateur l’occasion de revenir sur son œuvre avec plus de vingt ans de recul.
Techniquement, le master Haute Définition et le son DTS HD (Blu-Ray) ou Dolby Audio (DVD) promettent de restituer toute la beauté crépusculaire de la photographie de Kemper.