Cannes 2018

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Accrédité en tant qu’animateur de ciné club j’ ai pu facilement accéder au Palais mais n’ ai pas pour autant négligé les autres sélections …

Le Festival a eu la bonne idée de ne pas selectionner de films netflix : voir Roma de Cuaron en salle ( par exemple à Bruxelles ) est une expèrience immersive bien plus marquante que sur un écran …

Dans la sélection Cannes Classiques : coup de coeur pour

_ Cinq et la peau film franco-philippin réalisé par Pierre Rissient et sorti en 1982. restauré par Carlotta

Un homme, Ivan, retourne à Manille, apparemment sans but précis. Au gré de son errance et de ses rencontres, l’écrivain déambule dans la mégapole fascinante à la recherche de son passé et du sens de son existence.

Un beau film poême quasi autobiographique du cinéphile décédé cette année .Exercice de style difficile, cette autobiographie filmée a le charme des lieux traversés et des femmes rencontrées (Eiko Matsuda, l’actrice de « L’empire des sens »). Dans la ville de Manille, parcourue de long en large, on croise Lino Brocka, que Rissient a contribué à faire connaître en Europe, et des visages de comédiens vus dans les films du maître.Une balade désabusée mais pas cynique avec des références bienvenues à Pessoa et l’intranquillité d’un être curieux mais jamais serein …

Le film de clôture qui deviendra culte

L’ homme qui tua DonQuichotte réalisé par Terry Gilliam

Film hors norme attendu depuis longtemps :un projet de longue haleine du réalisateur, qui avait commencé à le tourner en 2000 avant de devoir l’interrompre : cette première tentative est relatée dans le documentaire Lost in La Mancha. Longtemps considéré comme un « film maudit » il a encore fait l’objet d’une querelle entre son premier producteur Paulo Branco et le festival qui a eu gain de cause .

Le pitch est une mise en abîme du travail parfois ingrat d’un réalisateur Toby Grisoni, un réalisateur de pubs désabusé, se rend en Espagne pour le tournage d’une publicité. Il y rencontre un gitan qui lui offre une copie du film de jeunesse — une adaptation lyrique de l’histoire de Don Quichotte — que Toby avait réalisé dans la région il y a une dizaine d’années. Ému de cette redécouverte, Toby part à la recherche du petit village de Los Sueños où il avait tourné ce film. Il se trouve mêlé à toute une suite de catastrophes.

Le résultat surprend amuse et intrigue : Gilliam fait un portrait peu flatteur du monde du cinéma , se remet en cause et nous offre une splendide ode à la créativité et à l’ amour . Il est finalement très fidèle au sens symbolique du Quichotte dévoilé par la kabbaliste Dominique Aubier : le parcours d’un anti hèros vers la connaissance de soi et le service …

Under the silver Lake de David Robert Mitchell

Un film iconoclaste un peu long mais intrigant sur les dessous d’une ville et de la pop culture : À Los Angeles, Sam, 33 ans, sans emploi, rêve de célébrité. Lorsque Sarah, une jeune et énigmatique voisine, se volatilise brusquement, Sam se lance à sa recherche et entreprend alors une enquête obsessionnelle surréaliste à travers la ville. Elle le fera plonger jusque dans les profondeurs les plus ténébreuses de la Cité des Anges, où il devra élucider disparitions et meurtres mystérieux sur fond de scandales et de conspirations.

Un troisième film inspiré ou plane l’ombre de David Lynch :l’ envers du décor n’est pas très reluisant : prostitution , complots , sectes et quête de l’immortalité en vrac . Le star system en prend pour son grade : c’est assez stimulant et bien mis en scène , l’ acteur qui joue Spider Man est sans cesse en décalage avec la réalité . Ici les symboles se font signes de la vacuité d’un système basé sur l’ hubris et le narcissisme ….

Dans le cadre de un certain Regard : la tendre indifférence du monde de Adilkhan Yerszhanov cinéaste Kazakh fut une bonne surprise

Fondateur du Cinema partisan refusant les aides de l’ Etat et abordant des sujets qui fachent : il a réalisé une histoire iconoclaste du cinéma Kazakh et parsème ses films de références picturales et littèraires : ici Camus ( pour le titre) et Van Gogh …

L’ histoire est une sorte de conte de fée qui remixerait Bonny and Clyde de Arthur Penn /La belle Saltanat et son chevalier servant Kuandyk sont amis depuis l’enfance. Criblée de dettes, la famille de Saltanat l’envoie dans la grande ville où elle est promise à un riche mariage. Escortée par Kuandyk qui veille sur elle, Saltanat quitte son village pour l’inconnu. Les deux jeunes gens se trouvent entraînés malgré eux dans une suite d’événements cruels et tentent d’y résister de toutes les façons possibles.

On est frappé par la douceur contemplative de la mise en scène qui rappelle parfois Kitano mais a aussi un aspect documentaire sur le délabrement de la société Kazach : le réalisateur stimule notre imaginaire en revisitant l’ histoire de Roméo et Juliette avec poésie et un joli sens de la lumière …

Dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs qui fétait cette année ses 50 ans la comédie de Pierre Salvadori En liberté nous a conquis par son audace et sa liberté de ton entre drame social et comédie burlesque qui a été couronnée par le prix Jacques Deray

Yvonne jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n’était pas le flic courageux et intègre qu’elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d’Antoine injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années. Une rencontre inattendue et folle qui va dynamiter leurs vies à tous les deux.

Enfin une comédie bien écrite sans vulgarité ni facilté : on est transporté par le jeu des acteurs qui ont une belle complicité dans une histoire de trahison réparation improbable : Salvadori aime les acteurs et les situations burlesques : il dynamite les codes du polar pour finir par nous interroger sur notre improbable liberté dans un monde moderne soumis aux impératifs de la sécurité

Dans le cadre de la semaine de la Critique Monsieur de Rohen Gera premier long métrage franco indien séduit par sa pudeur et la beauté de l’histoire d’amour inaccomplie qu’il traite.

Ratna est domestique chez Ashwin, le fils d’une riche famille de Mumbai. En apparence la vie du jeune homme semble parfaite, pourtant il est perdu. Ratna sent qu’il a renoncé à ses rêves. Elle, elle n’a rien, mais ses espoirs et sa détermination la guident obstinément. Deux mondes que tout oppose vont cohabiter, se découvrir, s’effleurer…

Film sensible sur le système des castes et la difficulté d’ aimer Monsieur a été conçu à partir de souvenirs d’enfance de Rohena Gera : petite fille, elle ne comprenait pas pourquoi sa nounou ne devait pas s’installer à la table familiale et était tenue de dormir par terre dans une chambre exigüe. Au-delà de cette préoccupation, la réalisatrice traite de la condition des domestiques et de la classe populaire en Inde. En dépit de l’abolition officielle du système des castes, le pays vit encore sous le joug de préjugés ancestraux qui perturbent la mixité sociale et engendrent un système discriminatoire envers les moins aisés. Ratna fait partie de cette classe défavorisée, et doit en plus supporter sa condition de femme opprimée. L’actrice Tillotama Shome éclate par sa beauté, sa grâce et sa sobriété de jeu. Une dramaturgie en demi-teinte sert un propos fort qui interroge au-delà de la société indienne les us et coutume sous nos propres latitudes.

Dans le cadre de l’ ACID la comédie américaine Thunder Road de Jim Cummings qui joue aussi le rôle principal avec talent

L’histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d’élever sa fille. Le portrait tragi-comique d’une figure d’une Amérique vacillante inspiré par une chanson de Bruce Springsteen .

Un film surprenant comédie sociale qui questionne l’ identité masculine dans un monde où le féminin reprend du pouvoir doublé d’une belle vision du deuil et de l’amour que l’on porte à sa famille .

Le réalisateur est de tous les plans nous offrant à coups de gesticulations clownesques et de logorrhées ininterrompues une performance marathonienne. Sur un rythme qui passe sans transition de l’immobilisme à la fulgurance, il donne vie sans difficultés à cet être à l’humanité touchante entre perte de repères et désir de survie.
On notera la multitude de plans-séquences qui donnent son rythme singulier à ce beau portrait d’homme en crise qui emprunte des chemins de traverse.


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