Rumors : panique au sommet

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Avec Rumors, Guy Maddin s’aventure sur un terrain où l’absurde n’est plus seulement une esthétique, mais une méthode pour nous donner à voir une farce politique : un sommet du G7 qui dégénère en chaos grotesque : nouis 7 dirigeants vont comme l’annonce le sous titre du film passer une curieuse «  nuit blanche au sommet »

Le recours aux artifices de cinéma muet, aux décors bricolés et à l’exagération théâtrale renvoie à ce que Jean Baudrillard appelait le simulacre : une copie sans original, un monde où l’image n’imite plus la réalité mais la remplace. Dans Rumors, les dirigeants ne sont plus que des personnages échoués dans une fiction dont ils ignorent les règles. Leur langage politique — slogans, discours vides — apparaît comme un lexique sans référent, une litanie de signes tournant à vide.

Maddin s’inscrit dans une continuité de son œuvre : interroger la mémoire, qu’elle soit cinématographique (My WinnipegThe Forbidden Room) ou collective. Ici, il détourne les récits officiels de la diplomatie et des grandes messes médiatiques. Le film devient une “archive apocryphe” : il enregistre un événement fictif, mais qui éclaire paradoxalement la vérité de notre présent politique. L’absurde n’est pas fuite du réel, mais exposition de son illogisme intrinsèque.

On retrouve dans Rumors des accents beckettiens : l’attente sans fin, la communication impossible, l’épuisement des corps et des discours. Ce théâtre de l’impuissance, transposé au cinéma, produit une esthétique de la boucle et de l’impasse. Forme et contenu se rejoignent : si le film semble parfois s’égarer, c’est précisément parce qu’il cherche à montrer la politique comme une pratique erratique, où la logique rationnelle a depuis longtemps cédé à la répétition et à la surenchère : Madin est bien un héritier de Bunel ( il évoque l’Ange exterminateur dans le bonus de 14 minutes qui évoque aussi son rapport privilégié à la musique)

Cette stratégie n’est pas sans risques. Le spectateur peut être séduit par l’inventivité visuelle, mais aussi fatigué par l’accumulation. La farce permanente risque de diluer l’efficacité de la satire. Toutefois, cette tension fait partie du projet : Maddin ne propose pas un pamphlet clair, mais un dispositif de brouillage. Le film ne délivre pas un sens, il met en crise la possibilité même de produire du sens dans un monde saturé d’images et de discours contradictoires, la fin est comme souvent déceptive à dessin mais ici avec un accent poétique ironique qui détonne avec le reste du film plutôt burlesque.

L’ éditeur a la bonne idée de mettre aussi en bonus deux courts métrages noirs et blanc des années 2017 et 2020 qui montre à quel point le réalisateur est un grand formaliste dans la lignée du surréalisme 

Rumors s’impose comme un objet hybride, à mi-chemin entre le cinéma expérimental, le théâtre politique et la parodie médiatique. Il prolonge la réflexion de Maddin sur la mémoire, tout en la réorientant vers l’analyse des simulacres politiques contemporains. Là où certains verront un délire baroque, d’autres reconnaîtront une tentative radicale de faire du cinéma une “critique par la forme” : montrer que la politique de notre temps ne tient peut-être déjà plus que par ses propres rumeurs.Derrière l’apparente légèreté, l’œuvre interroge les fondements mêmes de la représentation politique à l’ère de la saturation médiatique.

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